samedi 2 mai 2009

Sur un air des "Limites".

Précédemment dans "Sur un air de..."
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Le carrousel du Louvre m'a toujours plongé dans une espèce d'état de contemplation. Pourtant, ce n'est pas encore le musée, ni même d'une beauté fulgurante. Cet endroit me fascine, quoiqu'il en soit. Sûrement pour sa proximité des vieilles collections sculpturales ou pour ce qui se trouve au dehors: cette pyramide puissante et translucide. Quoiqu'il en soit, ce soir, je suis ailleurs. Déjà loin et à des années lumières de ce cocktail un peu trop guindé et encore sans intérêt. Mais nécessaire.
Ces lieux manquent de musique, à mon humble goût. L'organisateur de la soirée, connaissant mes inclinations, aurait pu faire un effort. En le croisant, tout à l'heure, je lui ai fait la réflexion. Il m'a regardé, ahuri, et m'a lancé un "Tu crois franchement que je vais payer pour ça?". "Ca", c'est donc la musique. Moi qui l'estimais...

Quelques coupes de précieux nectar m'ont orienté, logiquement, vers une chanson de la nouvelle vague française. Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt, me suis-je martelé. Etait-ce donc de l'ironie ou un quelconque cynisme amical? Ou bien une perche tendue. Je me suis alors repassé et ressassé toutes les paroles. Par cœur. Etrange...

Voulant prendre un peu de champ, je passe de galante manière à travers la foule. Quelques connaissances me reconnaissent, me saluent gentiment, je réponds tout aussi gentiment pour arriver jusque vers l'organisateur de cette supercherie amusicale. "Ecoute Philippe, je dois y aller. Demain, je vais quitter Paris, alors à une prochaine fois..." Chaude poignée de main, sourires en coin, je décide de sortir et de m'extraire de cette ambiance.

Alors que je sors de la Cour Napoléon, je me retrouve face à cette pyramide axée parfaitement sur la place. Le froid hivernal a découragé les touristes et autres noctambules. Bientôt minuit. Je descends rapidement les marches. "Je dépasse aisément toutes les limites quand je commence..." accompagne ma virée avant de rentrer à l'hôtel. Rapidement, j'aperçois de près l'Arc de triomphe du Carrousel. De part et d'autre, l'Histoire et la France victorieuse. Nulle âme qui vive. Choisissant un banc en pierre, je m'installe pour admirer l'endroit. Contemplatif et heureux. J'entrouvre ma veste pour dénouer mon nœud papillon. Libéré. "Hé, je ne rêve pas, je sais quand j'arrêterai", me rattrape. Pas si sûr. Je m'imagine tous les rythmes de cette invitation. Fermant presque les yeux pour me figurer toutes ces paroles, j'entends soudain une voix qui vient troubler mon repos.

Un mètre 65, tout au plus. Sombre, casquette de côté, baggy large, il m'interpelle. Dans un premier temps, je ne comprends rien. Quoique alcoolisé, un minimum, je ne me figure rien de ce qui sort de cette personne. Je tends l'oreille, demande une répétition, alors que je sais très bien où le bougre veut en venir. "Non, je n'ai pas de cigarette", lui réponds-je poliment. "Tu veux pas du shit", m'assène-t-il. La goutte de trop. Je lui renvoie un "Non, désolé, je n'en veux pas et je ne fume pas"... Tournant vite les pieds, il part en direction du jardin des Tuileries, probablement pour proposer ailleurs ses services.

Dans un mouvement d'ensemble d'une fluidité parfaite, je me relève. Mon noeud papillon voguerait presque dans l'air. Je prends mon ex-interlocuteur en chasse, en silence. Arrivant à me glisser à quelques mètres, puis tout près, j'écoute sa respiration courte et saccadée. La nuit est ma plus fidèle alliée. J'embrasse son cou jusqu'à entendre un doux craquement. Arrêtant mes pas, je le retiens pour qu'il ne s'effondre pas comme une vulgaire chose. "J'aime en faire des tonnes, ça irrite" m'accorde le chanteur avant de me signaler "Je vais payer pour ça..."

"Quand je commence, je finis le travail proprement", alors je propulse le corps dans quelque fourré abandonné. Cela ira bien pour cette nuit.

Minuit trente, il me faut rentrer. Avant de traverser Rivoli, je sors ma pochette de smoking pour nettoyer, aisément, mes chaussures salies par la poussière blanche des lieux de mon forfait. Parfait en tout temps, en toute circonstance, je franchis le seuil de l'Hôtel du Louvre. Le réceptionniste m'accueille et me salue d'un "Bonsoir monsieur" respectueux que je lui rends.

Demain, "je vais quitter Paris. Je sais, après, je vais payer pour ça. Ouais, je vais payer tout ça."

Pas si sûr.

jeudi 30 avril 2009

Sur un air de "J'veux du cuir".

Précédemment dans "Sur un air de..."
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Pigalle, dimanche soir. Exténué, je descends par la rue Houdon pour laisser libre course à mes pas. Presque fébrile et en silence. Les voitures ont déserté l'arrondissement. Fermé, presque capitonné pour cause de grippe porcine. Etrange après tout. Au loin quelques trompettes. Elle se rapprochent. Et viennent jusqu'à tambouriner mes tempes. "J'veux du cuir. Pas du peep-show, du vécu... J'veux du cuir." m'envahit. Ces quelques mots de Souchon m'entraînent. Ailleurs. Et ici.

Dans ce cinéma pourri du quartier, je décide de m'assoir. Ni trop près, ni trop loin de cette toile blafarde aux couleurs mal dégrossies. Vestiges de temps oubliés, à des années lumières d'aujourd'hui. Seul, je savourerai presque ce moment entre deux gémissements portés à l'écran et lâchés par quelques hauts-parleurs au son criard. Rien ne va dans cet endroit glauque. Qu'y fais-je, d'ailleurs?

Voici Souchon qui me rattrape avec son "J'veux des gros seins, des gros culs. J'veux du cuir..." tandis qu'un homme sans âge, ni présence vient hanter mon lieu que je viens de sacrer. Il siffle ma chanson. Je l'entends presque fredonner "J'veux du cuir. Sade, Shade et Suzy Q." Tendant l'oreille, entre deux souffles de jouissance feinte et mal jouée, je me confirme qu'il me vole toute ma nuit.

Il se pose au premier rang. Exerçant mon ouïe à plus d'effort, je le vois persifler. Et braguette baissée, je l'observe dans sa démarche. Alors, sans bruit, je quitte mon siège et m'avance jusque vers le deuxième rang. Les banquettes levées facilitent ma progression jusque derrière ce goret qui m'assassine Souchon jusque dans ses mouvements frénétiques.
Ne pouvant en supporter plus, je glisse ma main dans la poche intérieure de mon veston. "Am'nez le shout, l'éther. Les lames de rasoir, les tubes de colle." Mon esprit est inondé tandis que je plonge, sans un regard en arrière, la lame finement aiguisée dans la carotide de mon voisin. Il geindrait presque en se vidant.

Apaisé, je me retourne pour quitter cette salle maintenant souillée. En passant près de l'entrée brumeuse et sans lumière, je salue l'ouvreur en renouant ma cravate. La chanson reprend en moi-même. "Le monde est glauque et ça s'écrit..." conclut presque le chanteur. Je souris en regardant l'enseigne clignotante des lieux: Au cul. Et termine mon chant de guerre intérieure par "G2LOQ, mon ami..."

Rassasié.

dimanche 26 avril 2009

Sur un air de "Marcia baila".

Encore une nuit noire. Encore une balade en solitaire. Las, je m'aventure, d'un pas décidé, dans le parc Monceau. Ma tête répète les rythmes des Rita. Marcia Baila chante Ringer.

Je m'enfonce un peu plus dans ce parc si peu éclairé et n'y croise âme qui vive ou respire. Il est tard, il est vrai. Au fur et à mesure de mes pas, je m'étonne à claquer des doigts. Mes enjambées se font plus larges et étendues. Personne ne regarde, je peux donc me laisser aller. En paix.

Dans une allée, je dodeline et esquisse un pas chassé. A quelques mètres, un banc. Et surprise d'un samedi soir: une petite vieille semble s'éteindre sur la croute que l'on imagine verte du dossier public. M'approchant, je m'aperçois qu'elle me regarde. La bougresse. Et elle se moque en plus. Ses yeux brillent dans la nuit et ses rares dents éclatent sous la lumière lunaire. C'en est trop.

Je m'approche d'elle pour tenter de comprendre. Pourquoi ris-tu vieille femme? Elle ne veut répondre et persiste dans sa moquerie sélénite. J'entends, au dedans, encore et toujours les rythmes frénétiques de Marcia. Elle danse.
J'approche mes mains, en même temps, de la vieille. Je tends et sers de toutes mes forces. Allez danse. Danse! "C'est la mort qui t'a emmenée", chante et tambourine Catherine.

Un dernier souffle accompagne la dernière pression conjointe de mes mains. J'ai à peine transpiré en sentant les rides de ma compagne qui vient de verser sur le côté.

Je reprends ma marche dans la quiétude de ce parc abandonné de toute présence. A part la mienne et celle de Marcia. "La mort c'est comme une chose impossible". Je souris et prends le chemin de la sortie de ce petit coin de verdure. Comment sera demain? Le banc s'écaillera-t-il un peu plus?

"Marcia..."