lundi 21 février 2011

Sur un air de "Ne me quitte pas".

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Nous nous faisons face depuis près d'une heure maintenant. Nous sommes arrivés dans ma suite après avoir longuement marché dans Paris. Sans nous parler. Enveloppés dans une nuit des plus noires, j'arrivais, cependant, à lire dans ses pensées. Son regard sombre trahissait ses plus intimes considérations. Pourquoi, au fond, avait-il accepté de me suivre ? A l'heure qu'il est, je ne le sais toujours pas.

Nous nous faisons face. Lui est assis dans un fauteuil du coin salon alors que je croise les jambes sur le canapé face à l'écran diffusant, en sourdine, un mauvais film de série Z sur une chaîne toute aussi obscure. L'atmosphère en serait presque suffocante. De l'intérieur.
Son visage n'exprime rien. Tout au plus une image de fatigue ; il est tard. Je tends mon bras droit pour allumer le poste de radio. Les Beatles terminent une chanson mélancolique avec quelques plaintes. Jérémiades que je crois reconnaître comme appartenant à l'une de mes préférées : « While my guitar gently weeps ». S'en suit un nouveau silence et la voix parfaite de Nina Simone dans un moment de calme tout aussi parfait. « Ne me quitte pas ». J'aurais voulu être plus cynique que je ne m'y serais pas pris autrement...

Il continue de me scruter. Mais son expression a changé ; hagard. Je le vois, au fil des paroles, se décomposer. Sa tête vient de tomber entre ses mains alors que Nina répète à l'envi « qu'il faut oublier, [car] tout peut s'oublier ».

Absorbé par la contemplation de cet homme brisé, je n'ose bouger. Hésitant entre effroi et peur d'aller à sa rencontre. « Je ne vais plus pleurer, je ne vais plus parler », chante l'Américaine. En ai-je pris mon parti ?

Soudain, au détour d'une respiration, je le vois se redresser. Brusquement. La voix de Nina est chevrotante, ses yeux sont rouge luisant. Oublions « le temps des malentendus », commence-t-il, avant d'ajouter, tout logiquement, « ne me quitte pas ». Où est-il allé puiser la force de briser tant d'années de silence ? Voici venu mon tour de perdre pieds. Moi qui me pensais imperméable, me voici tout aussi touché, sinon submergé. « Laisse-moi devenir l'ombre de ton ombre », finit-il par conclure à mon endroit. Mon regard noir commence à rougeoyer. « Quand vient le soir, (...) le rouge et le noir ne s'épousent-il pas ? », pleure Simone pleine de lamentation.

Muet, tout d'un bloc, je me lève pour me diriger vers lui. Sans savoir pourquoi, je sers son avant-bras droit pour l'entraîner vers l'entrée de la suite. Incapable de m'exprimer, une larme coule sur ma joue alors que j'ouvre la porte. Il sort. En se retournant, au milieu du couloir, il me lance un ultime regard. Toujours aussi sombre et d'une tristesse infinie. Où va-t-il ? Que dois-je faire ? Des dizaines d'autres questions m'assaillent et aucune réponse ne me vient...

Fermant la porte sans savoir pourquoi, une nouvelle mélodie vient d'envahir la pièce. Air d'opérette burlesque. « So long and thanks for all the fish ». Je ne sais s'il faut en rire. Ou continuer d'en pleurer... So long...

1 Commentaire(s):

Lionel a dit…

on aurait presque envie de connaître la suite...

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